dimanche 25 septembre 2016

Intenses cités (Road show à la libanaise n°3)


Il est des endroits comme des personnes ; ils dégagent ou non une énergie, une vibration, provoquent des sensations. 
Cela faisait bien des années que je n'avais pas remis les pieds dans certains de ces lieux qui m'avaient tellement fascinée la première fois que je les ai parcourus.
Au cœur de la Bekaa, entre Damas et Beyrouth, je voulais retrouver la paisible cité d'Anjar. 


Accompagnée d'une amie de la région, j'ai senti à nouveau la fascination que cette ville en ruines pouvait exercer. C'était l'heure du déjeuner lorsque nous y avons pénétré, le meilleur moment de la journée pour profiter pleinement des lieux. Les derniers élèves d'un établissement scolaire venaient de remonter dans leur bus, et nous étions seules à déambuler dans ces rues d'un autre siècle. 

D'un côté, la montagne-frontière toute proche semblait nous veiller. De l'autre, au loin, les sommets du Mont Liban nous offraient un spectacle de nuages mouvants, poussés puis déchirés par les vents.

Nous n'avons pas beaucoup parlé. Nous avons écouté les voix étouffées des bâtisseurs et de ceux qui ont foulé ces rues droites, passé ces portes tombées depuis, vécu bien ou mal, et sont tombés dans l'oubli de treize siècles de ruines.

L'imagination s'étire et se dilate. Elle s'envole jusqu'aux arcades suspendues, bondit au sommet d'un tétrapyle qui semble garder les lieux, se faufile entre les colonnes tombées, caresse les graminées et coquelicots insolents qui nous rappellent que la nature reprend toujours ses droits.
Je me suis saoulée de cette paix des ruines et l'ai partagée. Mon amie m'a suivie dans ce voyage immobile, et en est revenue, comme moi, subjuguée, conquise, enchantée. Je l'ai saisi lorsqu'elle m'a dit : "je commence enfin à comprendre pourquoi tu aimes ce pays". C'était un compliment qui résonnait profondément. J'avais réussi à faire changer un regard, ne serait-ce qu'un instant, sur un pays mutilé.

Le jour suivant, c'est à Baalbek la majestueuse que nous avons encore été nous plonger dans les méandres du temps évanoui.
L'immense cité romaine et son temple de Jupiter, ses colonnes écrasantes de majesté qui parfois ne soutiennent plus que les nuages qui passent,



ses sculptures de frontons tombés à terre, mais tellement plus impressionnants à hauteur des yeux, ses escaliers que tant de pieds ont usés, ses enchevêtrements d'amas de pierres et de végétation... 

Là, à la différence d'Anjar, le silence s'impose, on ne le choisit pas. Il écrase presque tout autant que l'immensité et la grandeur de la cité antique. C'est une crainte révérencieuse qui nous étreint. L'imagination reprend son sérieux et n'ose plus vagabonder. Elle laisse la place à la réflexion. 

J'avais contemplé Anjar dans sa simplicité et sa finesse. A Baalbek, c'était les siècles qui me "contemplaient".







mardi 31 mai 2016

Road show à la libanaise n°2

J'avais à peine quitté le Chouf, cette si belle région montagneuse à dominante druze, et après quelques fort sympathiques retrouvailles avec certains de mes amis, me voilà à nouveau partie sur les routes. Mais alors... quel temps ! Moi qui m'imaginais déjà porter toutes mes robes d'été et mes sandales de pétasse, j'en ai été pour mes frais ! Jamais vu un temps aussi pourri en avril au Liban. Première glissade en partant sur la route trempée : un petit coup de frein à peu tardif pour cause de ralentisseur jamais signalé, et zouuuuuuuuu... ma voiture chasse de l'arrière, comme une jolie danseuse orientale. Très bien, qu'à cela ne tienne, s'il faut rouler à 30km/h, allons-y, quitte à se faire doubler dans les virages. C'est que je ne suis pas pressée de mourir, moi !


Arrivée à un carrefour, j'hésite un peu (pas très longtemps, car logiquement je monte), mais par acquis de conscience, je baisse la vitre et demande à une petite dame si c'est bien le chemin pour Zahlé. La réponse fut la suivante : "je ne connais pas le chemin à partir d'ici, mais si tu m'emmènes chez moi, je t'indiquerai la route sans problème". Le "chez moi" en question étant un joli détour d'environ 30 minutes vu le temps...j'ai légèrement hésité . Et puis après tout..., j'étais en vacances, pas de train à prendre, une occasion de passer par un autre chemin, et j'avais déjà moi-même profité de ce genre d'auto-stop informel dans mes années folles...alors yalla ! Elle était mignonne comme tout ma passagère qui ne parlait pas un mot de Français. Je baragouinais quelques mots sans doute mal agencés, mais on arrivait à se comprendre malgré tout. Quand la grêle s'est mise à tomber (si, si, je vous assure), les mots n'étaient carrément plus nécessaires ! Bref, je l'ai laissée devant chez elle, et trouvé mon chemin selon ses indications sans aucun problème.

Finalement, un peu plus haut encore, le temps s'est un peu calmé, la pluie a cessé malgré de bons gros nuages bien gris. Mais, en l'occurrence, çà m'a permis d'admirer des paysages aux contrastes bondissants. Ces montages verdoyantes du printemps, piquetées de fleurs nouvelles et à l'abri d'une couverture mouvante aux longues traînées de nuances de gris et blanc...


Je me suis arrachée à ma contemplation pleine d'enthousiasme malgré le vent un peu frisquet, et après avoir traversé une belle nappe de brouillard (j'aurais tout eu ce jour-là !), je me suis retrouvée nez à nez - si je puis dire - avec un autre spectacle merveilleux : la plaine de la Bekaa sous un ciel de plomb troué de quelques rayons de soleil.

C'est vrai que dit comme çà, çà n'a l'air de rien ou presque, mais en réalité, c'est fastueux ! Cette étendue de terres cultivées entre deux chaînes montagneuses, j'en suis encore restée bouche bée... et j'ai mieux compris pourquoi ses habitants peuvent en être aussi fiers.

Je suis descendue doucement jusqu'à Zahlé, ralentissant souvent pour jeter un œil de côté sur le paysage mouvant et magnifique qui s'offrait à moi. 
Si un ciel sans nuage est synonyme de luminosité et de limpidité, ce genre de vision houleuse et changeante à chaque instant rejoint l'idée que je me fais du véritable romantisme. 

Oui, le Liban peut être romantique lorsqu'on s'y arrête et qu'on prend le temps de l'observer et de l'aimer...

samedi 21 mai 2016

Road show à la libanaise n°1

Enfin, enfin !... J'ai replongé dans ces bruits et ces odeurs que je connais par cœur. Les klaxons, les appels à la prière, les cloches, le brouhaha des conversations, la musique arabe... Le jasmin, la friture, les échappements, les relents de poubelles... Cà paraît sûrement bizarre, mais c'est comme çà. J'aime ce mélange qui fait plisser du nez plus d'un. Alors que moi, à la descente de l'avion (dommage, on descend plus de l'avion, on passe directement dans l'aéroport), je ferais bien comme le pape, m'agenouiller pour baiser le sol. Toquée, j'vous dis ! 

Bien entendu, une fois arrivée, je suis dans mon élément, j'ai mes repères, je reprends les réflexes de conduite, je cherche toujours mes mots, mais petit à petit ils me reviennent. Rentrée en France, j'ai toujours un pied (voire une jambe, mais plutôt la tête) là-bas. J'ai encore tous ces bruits, et toutes les images de ce que j'ai vues qui défilent devant mes yeux. J'ai fait mes réserves pour tenir environ six mois. 
Cette fois-ci, j'ai délibérément évité Beyrouth. Envie de nature, de celle du printemps que j'aime tant, pleine de fleurs, de graminées, d'oiseaux chantants, de couleurs. 
Trois heures de randonnée pour bien démarrer. Le Kesrouan et ses chemins redécouverts m'ont accueillie pour mon premier week-end. J'étais comme un enfant dans un magasin de jouets ! Des paysages superbes et une compagnie pleine d'affection et de sollicitude. Un goût de paradis en fait... 



Mon amie de toujours ou presque (je ne dirai pas combien de temps, çà fait trop vieille baroudeuse) m'attendait aussi à Deir el Qamar, la cité des émirs. Zouuuuu, descente vers le sud, et remontée dans la montagne du Chouf, toutes fenêtres ouvertes. A bas l'air conditionné quand on peut respirer sur les hauteurs. C'est ma façon de me "nourrir" de ces petits riens qui rechargent mes batteries. En prendre plein le nez, les yeux et les oreilles ! 

Le plus beau village du Liban, ou l'un des plus beaux en tout cas pour ne pas faire de jaloux, m'attendait, pas tout à fait égal à lui-même quand même. Ambiance d'élections municipales très proches... les terrasses étaient pleines de conversations animées sur le sujet. En dépit de çà, déambuler dans les vieilles ruelles pavées et admirer les anciens palais n'a jamais le même goût non plus. 

Même si l'on peut faire le tour du pays rapidement en raison de sa petite superficie, j'aime prendre mon temps, changer de programme en fonction des circonstances, des envies, des choses qui me restent encore à découvrir. 
Et je m'aperçois avec une certaine gourmandise qu'il y a toujours à chercher, à fouiller, à regarder d'un œil neuf, malgré toutes les mauvaises langues qui affirment le contraire. C'est comme un défi, ce pays ! Un défi à toutes les logiques, et ce qui fait aussi qu'on s'y attache.

Evidemment, je ne me suis pas cantonnée à trois p'tits tours et puis s'en vont. Mais, la suite au prochain numéro...