dimanche 28 juin 2015

Balade insolite dans la Bekaa nord

Lors de mes trois années passées au Liban, j'ai tenu un journal en y consignant mes déplacements, découvertes, surprises (bonnes ou mauvaises)... Avec vingt ans de recul, certains passages sont toujours intéressants. Voici donc ce que j'écrivais de retour d'un week-end au nord nord nord du pays.

"Après Tripoli, nous avons bifurqué vers la montagne pour rejoindre un village sunnite, Mechmech. En traversant cet endroit peu connu des Libanais eux-mêmes, nous étions clairement dévisagés. Cinq jeunes occidentaux dans une berline poussiéreuse... un brin suspect. Ce lieu inhospitalier passé, nous nous sommes dirigés vers le sommet de la montagne pour redescendre vers la plaine de la Bekaa.

Mechmech
Au détour d'un chemin, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir un plateau d'un vert tendre nous rappelant étrangement nos verts pâturages français parsemés de jolis arbres. C'était beau à donner envie de se rouler dedans !
Mais le jour déclinait, et il s'agissait de passer la montagne dont nous apercevions le sommet à quelques kilomètres. Seulement, arrivés à l'extrémité de ce plateau verdoyant, nous avons eu la surprise de trouver la route coupée et continuant en chemin caillouteux, bon pour les randonneurs (plutôt rares) ou les troupeaux de chèvres. Renseignements pris, nous avons décidé de passer malgré tout.
Nous arrêtant au moment du coucher du soleil, nous avons été récompensés par une vue splendide sur la côté nord du pays, et la Syrie un peu plus loin.
Dégrisés par l'obscurité qui nous enveloppait petit à petit, nous avons poursuivi notre chemin cahoteux, obligés de descendre de voiture au moins vingt fois pour pouvoir passer les endroits critiques. Il faisait déjà bien nuit quand nous avons enfin retrouvé le goudron. 
La voiture fumant, il a bien fallu s'arrêter encore pour faire le plein d'eau. Un homme sorti de nulle part s'est alors approché pour nous proposer de l'aide, puis nous inviter chez lui pour un café. Impossible de refuser. Nous avons alors pénétré dans une modeste maison de deux pièces. Des matelas posés à même le sol, et deux enfants y dormant déjà. Une fois le café pris, on nous proposa de rester dormir, mais nous voulions rejoindre la Bekaa et nous rapprocher de Baalbeck où nous avions rendez-vous le lendemain.
L'heure désormais tardive nous a quand même poussés à trouver rapidement un endroit où nous installer. Résolus à dormir à la belle étoile, nous avons dégoté une ébauche de maison à quelques centaines de mètres d'un hameau dans la plaine. La nuit fut des plus courtes puisque le vent s'est levé vers 1h pour ne cesser qu'à midi. S'engouffrant par toutes les ouvertures, ce fichu vent ne nous a pas laissés dormir. 
Au petit matin, je m'isolai dans la voiture pour me changer quand j'aperçus quelqu'un s'approcher et me parler. Je rameutai le groupe et un de mes amis s'efforça de sortir péniblement quelques mots d'arabe, mais ce fut bientôt tout un groupe (et quelques armes) qui se dirigea vers nous... Impossible de nous faire comprendre, quand soudain... on entendit un homme parler français ! Sauvés par le gong... Le malentendu dissipé, nous avons finalement compris qu'il était inconcevable pour ces chiites de la montagne que cinq jeunes s'installent ainsi pour passer la nuit dehors alors qu'il était si simple de frapper à leur porte. Réflexe d'occidentaux qui pensent déranger...
Et nous voilà partis prendre un petit-déjeuner pantagruélique chez ce charmant francophone, tout heureux de présenter ces hurluberlus à sa famille. 

Grotte de St Maron
C'est évidemment avec un retard conséquent que nous sommes arrivés à notre rendez-vous à Baalbeck. Mais impossible de passer outre ce site romain époustouflant, même si le but de notre balade était la grotte de Saint Maron aux sources de l'Oronte.
De retour sur nos pas, pour remonter vers l'extrême nord, nous avons eu la surprise de retrouver notre hôte du matin en voiture et nous faisant signe de le suivre. Craignait-il que nous nous perdions à nouveau ?... Il alla même jusqu'à nous proposer de l'argent ! Peut-être pensait-il que nous étions vraiment fauchés comme les blés pour dormir dehors. 
Notre but atteint, nous sommes finalement repartis, gorgés d'air pur et de paysages inoubliables.
Remontant encore un peu vers le nord, il s'en est fallu de peu que nous rejoignions la frontière syrienne. Rectifiant le tir, nous avons atteint le sommet de la chaîne du Mont-Liban juste pour admirer les derniers feux du soleil caressant l'Anti-Liban. La fin tout en beauté d'un week-end fort cahotique..."


C'était il y a vingt ans... et c'est comme si c'était hier.
 

lundi 15 juin 2015

Le colosse des montagnes

Vu de loin, j'ai longtemps imaginé le cèdre comme une espèce de sapin hors normes. Je me disais quand même que ce "sapin" devait bien avoir quelque chose de spécial pour avoir été choisi comme symbole d'un pays.

Décembre 1988, lors de ma toute première visite au Liban, il n'était évidemment pas question d'aller voir les cèdres. La guerre, tout autant que la froidure de l'hiver, empêchait que l'on montât jusqu'à ce sanctuaire. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Un sanctuaire, un lieu de paix, une retraite qui se mérite. Mais de quoi parle-t-elle, pensez-vous... 
Si le Liban est le pays des cèdres, vous n'allez pas en croiser à tous les coins de rue. Et puis attention... il y a cèdre et cèdre ! Le plus répandu aujourd'hui, car plus facile à faire pousser, est le Cedrus atantica qui reboise plus rapidement les montagnes. Mais celui dont je vous parle est le Cedrus libani, l'espèce qui se raréfie et que l'on admire encore au nord du pays à 1925 mètres d'altitude, au-dessus de Bcharré, village du célèbre écrivain Khalil Gibran. 


Là, ce sont environ 370 cèdres géants, derniers vestiges d'une forêt qui couvrait la montagne libanaise. Plusieurs d'entre eux sont millénaires, voire pluri-millénaires...et vous toisent de leur hauteur pouvant atteindre 40 à 50 mètres. 

La première fois que j'ai pu enfin déambuler au milieu d'eux, j'aurais pu me prosterner devant une telle majesté. En réalité, je me suis arrêtée, ai posé ma main sur un de ces vieux troncs noueux, fermé les yeux et, en m'enivrant de leur parfum, les ai écoutés me raconter le vent qui les caresse sans jamais les ébranler, la neige qui les enveloppe telle une fourrure immaculée l'hiver, le soleil et la lune qui jouent sur l'horizontal de leurs longues branches d'un vert bleuté, et les amoureux qui gravent leurs serments comme s'ils déposaient un baiser sur l'écorce.

A Rhodes, le colosse, symbole de la résistance à l'envahisseur, était de bronze et n'a vécu que 60 ans. Au Liban, les colosses de la montagne, merveilles de la nature et fierté nationale, ont traversé les siècles, les guerres, les maladies, et se dressent encore dans le silence de la montagne.

"Ce sont des êtres divins sous la forme d'arbres" écrivait Lamartine. Il faut aller leur rendre humblement visite pour le comprendre.