vendredi 20 novembre 2015

Quand les hommes vivent d'Amour...

Le mois dernier, je ne savais pas encore que j'allais découvrir une face du Liban sinon cachée, du moins peu connue. Quand Mona m'a parlé d'un foyer où vivent des personnes vieillissantes, sans famille, sans ressources, sans toit, je suis tombée des nues. Dans mon idée, au Liban, comme dans beaucoup d'autres pays où les traditions familiales sont encore ancrées, on n'abandonnait pas les personnes âgées... Et pourtant...

Aussitôt, intriguée, je me suis laissée embarquer pour aller déjeuner avec cette grande famille recomposée. Et j'y ai passé les heures les plus émouvantes de mon séjour.
Dans ce petit immeuble, vivent 40 personnes de plus de 60-65 ans. Et chapeau pour la parité parfaitement respectée. Exactement 20 femmes et 20 hommes ! 

C'est Barbara, la directrice du lieu (Mansourieh), qui m'a reçue un long moment pour m'expliquer l'action menée au sein de l'association Amour & Partage. Les organisations caritatives, les dispensaires, les particuliers aussi parfois, sont à l'origine des signalements de cas de grande détresse de certaines personnes âgées. Dans la mesure du possible, on les intègre au foyer où ils vivent à l'abri et entourés jusqu'aux derniers jours. Mais, même si c'est rare, il arrive que certains préfèrent repartir. Il peut être difficile pour certains de quitter la rue pour se retrouver sous un toit conventionnel avec une vie bien réglée.
Un autre foyer plus restreint existe à Bikfaya, et une cinquantaine de personnes sont suivies à distance.

A peine arrivée sur place, j'ai eu le droit aux sourires, mots de bienvenue et embrassades de toutes ces mignonnes tetas déjà attablées. Les messieurs étaient plus réservés...

En France, on dit souvent que le mercredi est le jour des enfants. Mais là, c'est le jour des "grands" enfants ! Depuis 9 ans, ce jour-là, le déjeuner est apporté par "cheikha", une voisine toujours fidèle au poste avec un sourire jusqu'aux oreilles. Et Salah, le fondateur de l'association, se joint aussi à la grande tablée en apportant le vin.

A l'heure de la sieste, j'ai pu faire un petit tour dans les étages.

Vassili, ancien journaliste depuis 4 ans au foyer, a bien voulu me faire visiter sa chambre, partagée avec un autre résident. C'est tout simple, bien sûr, mais chacun a son espace, son chez-soi. Et avec quelle fierté Vassili ne m'a-t-il pas montré ses œuvres ! Objets de toutes sortes fabriqués avec des bâtonnets de barbecue (horloges, crèches, moulins...) dont certains fonctionnent à pile pour s'allumer ou se mettre en mouvement... un vrai talent ! 

Et l'histoire de Sofia est à tomber par terre ! Depuis quelques temps déjà au foyer, elle a retrouvé l'année dernière ses 3 enfants dont elle avait été séparée depuis 49 ans suite à un divorce. Ce fut par l'intermédiaire d'une émission de télévision que ces incroyables retrouvailles ont pu avoir lieu. Par une ancienne voisine qui l'a reconnue et averti ses neveux la croyant décédée, tout s'est enclenché...  Torrents de joie et de larmes assurés !

J'avoue humblement que, moi aussi, l'émotion m'a serré la gorge plus d'une fois au cours de cette visite. 
Lorsque j'ai repris la route, les sourires de chacun étaient comme une nuée de papillons m'accompagnant gaiement. 
Le véritable Amour se partage sans fin.


samedi 7 novembre 2015

Tilda la magicienne

A première vue, ce titre fait un peu grand spectacle. Mais s'il ne s'agit pas de lapins sortis du chapeau, ou de jolies dames coupées en deux, c'est quand même bien de magie dont il s'agit !
Il y a tout juste deux semaines (oui, encore ! c'est cyclique...), j'avais le très grand plaisir de découvrir le métier et la douce personnalité de Tilda, dans la jolie ville de Zahlé, dans la Békaa.
Je ne sais pas si, au Liban, ceux qui font ce métier portent le même nom, mais pour moi, c'est carreleur-mosaïste. Un vrai métier d'art.

Il y a seulement trois ans, Tilda, n'écoutant pas les voix discordantes qui lui disaient qu'elle n'y arriverait pas, est allée se former contre vents et marées auprès d'artisans d'expérience. Bien sûr, au départ, elle avait déjà un sacré don pour la création, que ce soit en broderie, en dessin ou même en cuisine. Elle a toujours su faire naître de très jolies choses de ses mains. Alors maintenant qu'elle maîtrise l'art du carreau de ciment, ce sont des merveilles qui sortent de son atelier qu'elle m'a gentiment montré.

J'ai regardé, ébahie,la naissance d'un carreau de ciment. D'un mélange de ciment, poudre de marbre, quartz et pigment, on remplit un moule dans lequel on a préalablement placé des diviseurs qui permettent au motif d'apparaître. Un peu de blanc par ci, du vert par là, du rouge, du jaune... c'est toute une maîtrise du geste qui s'exprime. Le tout est passé sous presse et le carreau sèche ensuite pendant au moins toute une nuit. Il faut 10 minutes à un ouvrier rapide pour fabriquer un carreau. Faites le calcul quand il en faut 800 pour une commande urgente...




Tous les motifs sont nés de ses mains de fée, inspirés par différentes influences, des carreaux anciens aux motifs plus modernes.
J'ai pu l'accompagner un bon moment dans sa journée de folie. Sans cesse appelée par ses ouvriers, elle doit passer acheter du ciment ou des pigments, faire réparer sa perceuse à nouveau en panne quelques jours après une réparation, faire livrer de l'eau, contrôler l'avancement de la production, rencontrer aussi les clients... journée-marathon pour cette femme au joli sourire et à la patience d'ange.

Hôtel Kadri
Sous son air de madone se cache une femme d'un courage et d'une ténacité qui m'ont scotchée ! Elle en est récompensée par un bouche à oreille qui lui fait une publicité méritée. Localement, son nom a déjà fait le tour.
Hôtel Kadri
La grande salle de l'hôtel Kadri, récemment rénové, sera bientôt embellie pas un "tapis" central de carreaux signés Tilda. Et ce sont maintenant les architectes beyrouthins qui s'intéressent à son travail... Je gage que sa notoriété n'aura d'égal que sa discrétion.

Finalement, si ce n'est pas par magie que Tilda a réussi, elle nous ensorcelle un peu quand même par la beauté de son travail. Voyez plutôt...!






jeudi 5 novembre 2015

Les terrasses des lupins

Montagne du Chouf
Il y a tout juste deux semaines, je venais de faire l'une de toutes les rencontres formidables de mon séjour libanais... Wow, comment dire, faire sentir ce que je pouvais éprouver à redécouvrir les endroits déjà connus comme Deir el Kamar, mais aussi connaître enfin des lieux et des personnes jusqu'alors inconnus ?
Le seul mot qui me vient à l'esprit n'existe pas : la comblétude !
Il faut dire que ce jour-là, je venais de quitter le beau village du Couvent de la Lune et je rejoignais Joun par la montagne. C'était déjà un bout d'aventure... J'avais appris presque par cœur mon bout de carte entre ces deux points. Beit ed Dine, AÎn Bal, Gharife, Mtoulle, Mazraat ed Dahr. Pas trop fastoche à première vue, mais bon, çà se fait très bien finalement. Surtout quand on se retrouve quasi seule sur la route à 8:00 le matin et que la lumière du soleil encore fraîchement levé se fait caresse sur les oliviers environnants.
Je ne regrette qu'une chose, ne pas m'être arrêtée dans le coin de Mazraat ed Dahr. La route étroite filait, comme suspendue entre deux vallées... une vue...! Que l'on regarde à droite ou à gauche, c'était un panorama époustouflant.
Bon, bon, çà m'aurait presque fait oublier le but de ma jolie promenade matinale. Mais à l'autre bout de Joun m'attendait Jacqueline, l'exquise et étonnante propriétaire de ces fameuses Jlal al Tormos (Terrasses des Lupins). Rien que son nom déjà... tout un programme !


Quelques explications au téléphone, et me voilà descendant lentement un chemin au bout duquel m'accueillait, tout sourire, Jacqueline et ses deux chiens. Si, si, je vous assure, même les chiens avaient l'air de sourire.
Deux heures et demie que je n'ai pas vues filer. Cette grande dame, ancienne de l'AFP, avait déjà une vocation de longue de date lorsqu'elle a enfin acquis ce terrain il y a bientôt 10 ans. 17000m² de terre calcaire, si blanche que les nuits de pleine lune on peut lire sur la terrasse comme en plein jour ! 17000m² de poussière de terre... qu'elle a fertilisés pendant plusieurs années à grands coups d'engrais vert (pour les plus curieux, vous irez chercher ce que c'est. Un sacré boulot !). Tout le monde lui avait déconseillé de réaliser son rêve à cet endroit si sec. Mais elle a réussi ! Au-delà de ce que l'on peut imaginer. Il faut dire qu'elle est déterminée, Jacqueline. 
Feijoas
Papayer
En toute simplicité, elle m'a fait goûter les merveilles de son paradis. A peine les fesses posées sur son canapé, je découvrais, ravie, la saveur surprenante du feijoa, goyavier du Brésil, totalement inconnu au bataillon pour moi jusqu'à cet instant. Et tout en me régalant, j'écoutais avec délice cette femme au parcours hors normes au Liban me raconter comment elle avait fait naître ce coin paradisiaque, les espèces végétales d'un peu partout introduites avec succès ou non, les animaux et leur caractère (l'ânesse intrépide qui donne des coups de pied), la joie d'avoir son propre puits qui offre une eau plus pure que bien des sources... 

J'ai fait un tour rapide, admiré le papayer et les perles rouges du magnolia, dégusté les fruits de l'arbousier, salué les poules rousses (et l'ânesse de loin), respiré le parfum des buissons de jasmin, noyé mon regard dans l'intense couleur du solana, rêvé au-dessus des oliviers et regretté un peu quand même de ne pouvoir contempler les jacarandas en fleurs. 

En quittant les lieux, j'étais non seulement ivre de tout ce concentré de sensations, mais chargée aussi de divers pots, production maison qu'i sont vendues à Beyrtouth (A New Earth à Achrafieh) : confiture de figues, conserve de mûres, zaatar. J'ai même emporté au fond de ma valise quelques noix, mélangées hier à ma salade d'endives, et des noix de macadamia que je laisse tranquillement se détacher de la coquille.



J'ai eu une chance terrible de rencontrer Jacqueline et son trésor... car elle prouve chaque jour, à sa façon, que le désert peut refleurir.