samedi 8 janvier 2022

N'éteins pas la lumière !

L'un de mes précédents articles commençait par "Déjà neuf mois que je n'ai pas remis les pieds au Liban... Pour une toquée, c'est la limite du supportable". Et dire que çà fait déjà 2 ans et 8 mois que j'ai vu s'éloigner à travers mon hublot la côté libanaise ! Pourtant, mon road trip à 6 m'avait confirmé que conduire et guider un petit groupe à travers le pays était absolument dans mes cordes. J'avais déjà d'autres volontaires et certaines du premier groupe étaient prêtes aussi à rempiler ! Le début du succès quoi...

Alors quoi ?! Alors, un début de révolution (octobre 2019...) avortée et une explosion (4 août 2020) plus loin, j'ai assisté, impuissante, à la dégringolade économique la plus spectaculaire jamais vue depuis cent ans. Et un virus sournois par là-dessus... Pour la toquée que je suis, franchement, c'est du lourd, mais va falloir patienter encore pour me voir baisser les bras. Certes, la situation est plus que grave, voire désespérante à défaut d'être désespérée, mais ce pays "impossible" de tous les possibles continue de me ramener à lui, alors que je commençais à ne plus savoir comment alimenter ce blog. Faut pas oublier que mon but est de présenter le Liban sous un meilleur jour, à savoir y décrire ce que j'y trouve de beau, de bon, de positif, de lumineux, d'humain. J'avoue que depuis un an et demi, je ramais pour y voir tout cela. Mais à force de ramer, on finit par arriver quelque part, non ? C'est Hanna, ami libanais m'ayant déjà permis d'écrire au moins un article (21 mai 2016 - la randonnée, c'était lui), qui m'a remis le pied à l'étrier. Il est allé lire un peu ce blog laissé en suspens et m'a fait part de son intérêt. C'est ce qui m'a poussée à y revenir, et je l'ai trouvé beau ce blog !


Ben oui, c'est pas pour me donner des coups de pied dans les chevilles hein, mais cette "jachère" que j'avais volontairement laissée m'a permis de le voir sous un autre angle. Je ne devais pas laisser tomber ! Comme Hanna m'a dit : "ne t'arrête pas, sauf si y a plus rien qui t'inspire. C'est fini, y a plus rien de positif ?", et vlan, prends çà ! Un petit coup sur les doigts parfois, çà fait pas de mal.

Il y a toujours de belles choses, de belles personnes, de belles actions et je dois me remettre en chasse pour montrer qu'au creux de la vague, on trouve encore des perles.

Pour réussir, j'ai besoin d'autres Hanna, de vous qui êtes sur place ou avec au moins un pied là-bas. Montrez-moi ces perles pour que mon blog puisse les pêcher et continuer à vivre. Même si la lumière est faible, elle n'est pas éteinte !

jeudi 28 mars 2019

La Toquée fait des émules !

Quand on est toqué, on l'est totalement et on cesse rarement de parler de son toc (et non pas de sa toque) - sauf peut-être pour dormir. Alors, évidemment, soit çà agace les autres, soit çà suscite leur intérêt.


Pour ma part, à chaque fois que j'ai parlé du Liban autour de moi, on m'a répondu

"ah, j'ai des amis libanais ; ils sont d'une gentillesse !"
ou alors
"oh, la cuisine libanaise, j'adooooore !"
mais quasiment jamais
"bon, tu commences sérieusement à nous les briser menues menues avec ton Liban !"...ouf.

Mais ce que je n'avais pas vraiment prévu, c'est qu'en l'espace de quelques mois, plusieurs de mes amies me disent qu'elles rêvent de visiter ce fabuleux pays (au sens étymologique du terme) et qu'elles tiennent à venir avec moi lors d'un de mes prochains voyages.
Etant donné que je me voyais mal faire six séjours en un an (non pas que cela m'aurait déplu, mais j'ai un métier môa Madame !), j'ai fait un pari. Non, pas genre tiercé dans l'ordre. Mais un pari sur la curiosité et l'adaptabilité de ces amies. Tope-là ai-je dit, j'organise un circuit touristique pour les cinq futures toquées !
Le plus surprenant dans cette histoire, c'est qu'elles ont toutes couru acheter leur billet d'avion aux dates que j'avais proposées, et sans se connaître les unes les autres. Si c'est pas une confiance aveugle çà... Faites gaffe les filles, çà commence comme çà, et on devient piqué, accro, gaga, fondu, toqué quoi ! 
  
Enfin, tout çà pour dire que les deux premières semaines de mai, ce sont six nanas qui débarquent et vont s'en mettre plein les yeux (et un peu le ventre aussi quand même) au pays du tabboulé, kneffé et autres bzourat. Du nord au sud, en passant par la Bekaa, nous allons sillonner le pays, crapahuter dans les ruines, écumer les souks, déambuler dans les ruelles, immortaliser monts et merveilles, et j'en passe...
Nous aurons aussi la chance de croiser des sourires lumineux, d'échanger avec des gens pour qui l'accueil est un honneur et une fête.

Mais outre que l'histoire ne s'arrête pas là puisque le voyage n'est pas encore commencé, j'ai déjà un début de deuxième groupe ! Parce que deux autres copines sont déjà en liste d'attente ! Et d'ici à ce que la contagion s'étende...
Mais, entre nous, c'est loin de me déplaire. Le début d'une vie supplémentaire ?

mercredi 5 décembre 2018

Le sel de la vie ou la promesse faite à une mère

Deir Al-Natour
Ce jour-là, nous avions rendez-vous, Isa (mon amie journaliste) et moi, au monastère Deir al-Natour à la sortie d'Anfa (voir l'article "Sous le vent") avec Hafez, un spécialiste des salines locales. Du moins, c'était seulement ce que nous en savions... et justement, nous voulions en savoir plus !

Nous guettions chacune des voitures empruntant l'allée qui mène de la route côtière à l'entrée du monastère. Beaucoup de Français à venir visiter cet endroit magnifique, mais point de Hafez...
Un peu plus d'une heure s'écoule, durant laquelle un jeune soldat posté là nous ouvre gentiment une pièce dont les murs sont recouverts de très anciennes et merveilleuses icônes. Nous en restons baba ! Mais encore plus lorsqu'au terme de cette attente, nous voyons apparaître un cycliste coiffé d'un chapeau de paille à larges bords qui se dirige vers nous (nous nous disons que décidément ce n'est pas encore lui) et nous hèle en s'excusant mille fois de son retard !! Nous en éclatons de rire de notre idée préconçue qui se fracasse lamentablement sur l'étroitesse de notre imagination.


Aucune présentation nécessaire ; c'est bien "notre" Hafez.
Extrêmement volubile, monté sur ressorts, il dépose sa monture contre un muret et nous voici galopant dans les fameuses salines, nous accrochant pour suivre le rythme de paroles de notre hôte. C'est qu'il en a à dire ! Anfa et ses salines font partie de l'histoire de sa famille. Etant enfant, il y a récolté le sel avec sa mère. Et il a promis à celle-ci de les protéger. 
Et pour Hafez, une promesse se doit d'être tenue ! Rien ne l'arrête. Ni projet immobilier dantesque de certains pays du Golfe qui ont eu l'idée pharaonique d'y implanter une cité de luxe à usage exclusivement princier (rien que çà !) en rasant tout sur son passage. Ni la décision du Ministère de la Culture qui a refusé de suivre l'Unesco ayant classé le site. Qu'à cela ne tienne. Une association de protection des lieux est constituée. Hafez fait jouer son réseau, il contacte les médias nationaux et internationaux, et monte au créneau. Il n'a de cesse de s'opposer au projet délirant et obtient le statu quo qui s'installe jusqu'à présent. Ne rien lâcher, faire connaître les lieux, écrire et parler, c'est l'arme de Hafez qui se bat aussi quotidiennement contre les réserves de goudron qui ont été implantées au bord des salines historiques et polluent largement la région.


Salines historiques
Plusieurs raisons objectives existent qui soutiennent l'engagement de cet homme à l'allure de Don Quichotte. Ce n'est pas contre des moulins à vent qu'il se bat, mais pour la préservation d'un lieu parsemé d'éoliennes sur les 7 km de côtes où se trouvent les salines historiques (25 000 m²), la presqu'île d'Anfa avec ses vestiges phéniciens, romains et croisés, et enfin les salines traditionnelles encore en activité à Ras al-Natour autour du monastère (400 000 m²). Autant dire un site exceptionnel tant par sa richesse historique que naturelle.

 Traditionnellement, le travail aux salines étaient dévolu aux femmes du village pendant que les hommes s'occupaient des champs. Il leur fallait tout de même apporter des seaux d'eau de mer directement dans les bassins. Pour faciliter cette opération, plus tard, des éoliennes ont été installées avec un système de pompage.


Le principal problème rencontré aujourd'hui par les sauniers est économique. Hier, le sel faisait la fortune des familles locales. Aujourd'hui, le sel libanais ne fait pas le poids face à l'égyptien qui coûte moins cher mais est de beaucoup moins bonne qualité. Alors que des analyses réalisées par un laboratoire européen révèlent une qualité parfaite du sel libanais, celui-ci reste en souffrance.

Mais Hafez, qui semble ne jamais prendre de repos, a bien des idées. Dont une bien belle et bonne qui serait LA solution. Anfatour : contraction du nom du village d'Anfa et de la terminaison du nom du monastère Deir Al-NaTOUR. Projet d'éco-village qui, autour de la richesse du sel, ferait aussi la promotion de l'artisanat local plus largement, développerait la dimension pédagogique par des ateliers et formations à certains métiers, protégerait la bio-diversité du lieu, accompagnerait un tourisme intelligent tout simplement !

Pour cela, il faut évidemment de l'argent (avis aux investisseurs bienveillants) et mettre à bas toute velléité de promotion immobilière irrespectueuse. 

Cette course entre les salines traditionnelles et les salines historiques, en évitant les trous d'eau (sans pouvoir échapper aux moustiques) nous a captivées et nous a offert un nouvel ami passionnant.

Le soleil est tombé derrière l'horizon... nous contemplons sa disparition incendiaire sur les salines, avec l'espoir du jour qui renaîtra.

Si je ne m'abuse, Al-Natour signifie le gardien en arabe. Ce lieu en a un assurément, et son prénom est Hafez !

dimanche 16 juillet 2017

Olivier, mon ami, mon vieux frère



Douma
Quand j'ai quitté Douma en remontant pour passer de l'autre côté de la montagne, vers Bachtouda, j'ai découvert un autre endroit magique.
Il faut chercher un peu, faire un crochet dans Bcheale, pour toucher du doigt les temps immémoriaux.
Le long de la petite route, l'air de rien, un modeste champ d'oliviers bordé de traditionnels murets de pierres. De ces champs d'oliviers, j'en ai vu à foison déjà. Le Liban Nord en est truffé. Mais celui-là...
Il s'en dégage un air de pas déjà vu. Parce que des arbres vieux de 6 000 ans, je sais pas pour vous, mais moi, c'était bien la première fois que je me trouvais nez à tronc avec. Et puis, ce n'est pas seulement le nez que j'ai sollicité pour graver ma mémoire sensible, mais aussi la main évidemment. Ils m'ont bluffée ces vieux pas si rabougris !

J'ai posé ma main avec déférence sur les vieux troncs. J'y sentais grouiller une multitude d'histoires.
De combien de drames, de joies, de peines, d'amours, de deuils, de rires et de folies humaines ont-ils pu être les témoins ?
Ils sont toujours là, debout, tout ridés, le tronc tanné, tavelé, comme la peau d'un vieux loup de mer ayant parcouru les océans. Eux, n'ont pas bougé.


Ils se sont enracinés dans leur sagesse immuable. Et les caresser doucement, c'était m'imprégner de leur énergie vitale. Ils m'ont chuchoté à l'oreille que la vie passe, mais jamais les émotions. Je le savais déjà, mais l'entendre à nouveau rien qu'au toucher, c'était d'une intensité folle.
J'étais émue aux larmes de les rencontrer. Car, oui, c'était une vraie rencontre. De celles qui vous marque d'un sceau indélébile.

Ce que je n'avais jamais vraiment remarqué jusque là, et qui m'a sauté aux yeux cette fois-là, c'est que cette force végétale qui semble torturée, est en fait une véritable oeuvre d'art. Un tableau vivant, vibrant.
Comme un être humain qui a roulé sa bosse, l'olivier que j'ai scruté était plein de creux et de rides. Il semblait tatoué, parfois afficher un sourire, m'adresser un clin d’œil malicieux.



J'aurais voulu le prendre dans mes bras, l'enlacer, comme l'on fait des êtres humains qui nous touchent comme personne. Je n'ai pas osé, par pudeur. Et je les ai tous quittés à regret.

Il me faudra y retourner. Encore et toujours cette bonne vieille excuse pour ne jamais cesser mes allers-retours et m'enchaîner un peu plus à ce qui me fait aimer "mon" Liban.
Car moi aussi, "j'ai mon Liban avec les rêves qui y vivent" (K. Gibran).

dimanche 30 avril 2017

Sous le vent...

A peine une semaine après mon retour du Liban, j'ai encore le cœur qui bat plus vite à l'évocation de ces petites heures passées en bord de mer. Mais pas n'importe quel bord de mer ! Un paradis sur mer.

La journée avait débuté comme d'habitude, tranquillement. Ce matin-là, j'avais bouclé mon sac et tout bien rangé dans mon coffre, car je quittais le Nord pour suivre cette amie qui voulait aussi découvrir cette crique qu'elle avait en vain déjà cherchée. 


Pour une bien jolie entrée en matière, nous nous sommes d'abord arrêtées au monastère de Saydet el Natour (N-D du Gardien), idéalement situé juste devant la mer avec le voisinage de salines. Bleu sur bleu égale ?...

Il y a plus de 900 ans que ce "deir" aurait été construit par des 
moines cisterciens sur les vestiges d'un temple païen détruit au VIème siècle par un tremblement de terre. Mais j'ai une nette préférence pour la légende populaire qui dit que ce monastère aurait été construit par un homme extrêmement riche dont la conscience était fort encombrée de turpitudes en tous genres... Natour signifie gardien en arabe, ou celui qui attend. La tradition orale parle de cet homme abandonnant tout et se réfugiant, totalement démuni, dans une grotte sous l'actuel monastère. Il se met les fers aux pieds et jette la clé à la mer. Il passe des années à supplier Dieu de lui accorder sa miséricorde. Un jour, un pêcheur lui offre un poisson dont les entrailles lui livre la clé qu'il avait lui-même jetée, signe du pardon divin. C'est en remerciement que cet homme aurait construit cet endroit. 

A l'intérieur, nous avons eu la belle surprise de découvrir une église dont tous les murs sont recouverts de fresques religieuses, plafond compris ! 

A l'approche de notre but, Enfé, mes pulsations déjà augmentaient... A pied, l’œil aux aguets, nous avons d'abord découvert de bien jolies maisons, certaines blanches et bleues, et une église magnifique dotée d'un parvis éclatant.

Mais là où ma mâchoire a eu une franche faiblesse de longue durée, façon poisson hors de l'eau, c'est lorsque nous avons enfin trouvé ce petit bord de mer aménagé à la grecque. 

Taht el Rih, "Sous le vent", c'est son nom. J'en ai encore la sensation dans les cheveux. Et vlan ! Je suis re-tombée amoureuse. C'est vrai aussi que j'ai tendance à tendre le bâton pour me faire battre, comme on dit. Mais là...faudrait se faire faire une "cardiosectomie" (ne cherchez pas, je viens de l'inventer) pour rester de marbre. C'est bien simple, je ne voulais plus partir. Le pompon dans cette histoire, c'est que pour parvenir à ce paradis miniature, on doit traverser un petit cimetière. Ce sont donc les habitants de ces dernières demeures qui sont les mieux placés ! Jugez plutôt...



Je suis déjà toquée depuis un bon moment... me voilà totalement gaga !













jeudi 16 février 2017

Ma réserve à rêver

Déjà neuf mois que je n'ai pas remis les pieds au Liban... Pour une toquée, c'est la limite du supportable. Heureusement que je viens d'acheter le billet d'avion qui me permet de faire à nouveau un projet de programme tous azimuts !

Je vais m'en payer des paysages à en tomber par terre, des rencontres amicales à m'en décrocher la mâchoire de sourires, des visites de lieux encore inconnus à avoir le cœur qui bat la chamade, des verres d'arak à... non ! Je vous vois venir, mais non ! Il y a déjà assez de fous du volant sur les routes libanaises...

Cette fois, je me prépare à écumer les souks, ceux de Tripoli et Saïda. Dénicher des trucs un peu bling-bling mais pas trop, juste assez pour
que çà plaisent à mes amis frenchy. Aller fouiller chez les souffleurs de verre de Sarafand et voir la vie en transparence colorée...

Déambuler dans les villages au charme fou, aux maisons aux toits rouges ou aux portes et volets bleus, avec des airs de vacances éternelles.
Anfeh (avec l'aimable autorisation de Jad Ghorayeb)

Inspirer goulûment les effluves de jasmin tellement entêtants qu'à des milliers de kilomètres de là, je les sens encore !

Engranger des milliers d'images, de regards, de saveurs, de parfums, de couleurs, de formes, de sons.
Ce sera ma réserve dans laquelle je pourrai puiser à satiété, une fois rentrée. Mon poumon de secours lorsque le quotidien devient étouffant de grisaille et de morosité. Ma bibliothèque intérieure dans laquelle mes rêves plongent régulièrement pour décorer mes nuits et que je voie le jour sous une autre lumière.
Ce n'est pas de la nostalgie, c'est mon projecteur ; ma machine à projets et ma toile en 3D.

dimanche 25 septembre 2016

Intenses cités (Road show à la libanaise n°3)


Il est des endroits comme des personnes ; ils dégagent ou non une énergie, une vibration, provoquent des sensations. 
Cela faisait bien des années que je n'avais pas remis les pieds dans certains de ces lieux qui m'avaient tellement fascinée la première fois que je les ai parcourus.
Au cœur de la Bekaa, entre Damas et Beyrouth, je voulais retrouver la paisible cité d'Anjar. 


Accompagnée d'une amie de la région, j'ai senti à nouveau la fascination que cette ville en ruines pouvait exercer. C'était l'heure du déjeuner lorsque nous y avons pénétré, le meilleur moment de la journée pour profiter pleinement des lieux. Les derniers élèves d'un établissement scolaire venaient de remonter dans leur bus, et nous étions seules à déambuler dans ces rues d'un autre siècle. 

D'un côté, la montagne-frontière toute proche semblait nous veiller. De l'autre, au loin, les sommets du Mont Liban nous offraient un spectacle de nuages mouvants, poussés puis déchirés par les vents.

Nous n'avons pas beaucoup parlé. Nous avons écouté les voix étouffées des bâtisseurs et de ceux qui ont foulé ces rues droites, passé ces portes tombées depuis, vécu bien ou mal, et sont tombés dans l'oubli de treize siècles de ruines.

L'imagination s'étire et se dilate. Elle s'envole jusqu'aux arcades suspendues, bondit au sommet d'un tétrapyle qui semble garder les lieux, se faufile entre les colonnes tombées, caresse les graminées et coquelicots insolents qui nous rappellent que la nature reprend toujours ses droits.
Je me suis saoulée de cette paix des ruines et l'ai partagée. Mon amie m'a suivie dans ce voyage immobile, et en est revenue, comme moi, subjuguée, conquise, enchantée. Je l'ai saisi lorsqu'elle m'a dit : "je commence enfin à comprendre pourquoi tu aimes ce pays". C'était un compliment qui résonnait profondément. J'avais réussi à faire changer un regard, ne serait-ce qu'un instant, sur un pays mutilé.

Le jour suivant, c'est à Baalbek la majestueuse que nous avons encore été nous plonger dans les méandres du temps évanoui.
L'immense cité romaine et son temple de Jupiter, ses colonnes écrasantes de majesté qui parfois ne soutiennent plus que les nuages qui passent,



ses sculptures de frontons tombés à terre, mais tellement plus impressionnants à hauteur des yeux, ses escaliers que tant de pieds ont usés, ses enchevêtrements d'amas de pierres et de végétation... 

Là, à la différence d'Anjar, le silence s'impose, on ne le choisit pas. Il écrase presque tout autant que l'immensité et la grandeur de la cité antique. C'est une crainte révérencieuse qui nous étreint. L'imagination reprend son sérieux et n'ose plus vagabonder. Elle laisse la place à la réflexion. 

J'avais contemplé Anjar dans sa simplicité et sa finesse. A Baalbek, c'était les siècles qui me "contemplaient".