mercredi 5 décembre 2018

Le sel de la vie ou la promesse faite à une mère

Deir Al-Natour
Ce jour-là, nous avions rendez-vous, Isa (mon amie journaliste) et moi, au monastère Deir al-Natour à la sortie d'Anfa (voir l'article "Sous le vent") avec Hafez, un spécialiste des salines locales. Du moins, c'était seulement ce que nous en savions... et justement, nous voulions en savoir plus !

Nous guettions chacune des voitures empruntant l'allée qui mène de la route côtière à l'entrée du monastère. Beaucoup de Français à venir visiter cet endroit magnifique, mais point de Hafez...
Un peu plus d'une heure s'écoule, durant laquelle un jeune soldat posté là nous ouvre gentiment une pièce dont les murs sont recouverts de très anciennes et merveilleuses icônes. Nous en restons baba ! Mais encore plus lorsqu'au terme de cette attente, nous voyons apparaître un cycliste coiffé d'un chapeau de paille à larges bords qui se dirige vers nous (nous nous disons que décidément ce n'est pas encore lui) et nous hèle en s'excusant mille fois de son retard !! Nous en éclatons de rire de notre idée préconçue qui se fracasse lamentablement sur l'étroitesse de notre imagination.


Aucune présentation nécessaire ; c'est bien "notre" Hafez.
Extrêmement volubile, monté sur ressorts, il dépose sa monture contre un muret et nous voici galopant dans les fameuses salines, nous accrochant pour suivre le rythme de paroles de notre hôte. C'est qu'il en a à dire ! Anfa et ses salines font partie de l'histoire de sa famille. Etant enfant, il y a récolté le sel avec sa mère. Et il a promis à celle-ci de les protéger. 
Et pour Hafez, une promesse se doit d'être tenue ! Rien ne l'arrête. Ni projet immobilier dantesque de certains pays du Golfe qui ont eu l'idée pharaonique d'y implanter une cité de luxe à usage exclusivement princier (rien que çà !) en rasant tout sur son passage. Ni la décision du Ministère de la Culture qui a refusé de suivre l'Unesco ayant classé le site. Qu'à cela ne tienne. Une association de protection des lieux est constituée. Hafez fait jouer son réseau, il contacte les médias nationaux et internationaux, et monte au créneau. Il n'a de cesse de s'opposer au projet délirant et obtient le statu quo qui s'installe jusqu'à présent. Ne rien lâcher, faire connaître les lieux, écrire et parler, c'est l'arme de Hafez qui se bat aussi quotidiennement contre les réserves de goudron qui ont été implantées au bord des salines historiques et polluent largement la région.


Salines historiques
Plusieurs raisons objectives existent qui soutiennent l'engagement de cet homme à l'allure de Don Quichotte. Ce n'est pas contre des moulins à vent qu'il se bat, mais pour la préservation d'un lieu parsemé d'éoliennes sur les 7 km de côtes où se trouvent les salines historiques (25 000 m²), la presqu'île d'Anfa avec ses vestiges phéniciens, romains et croisés, et enfin les salines traditionnelles encore en activité à Ras al-Natour autour du monastère (400 000 m²). Autant dire un site exceptionnel tant par sa richesse historique que naturelle.

 Traditionnellement, le travail aux salines étaient dévolu aux femmes du village pendant que les hommes s'occupaient des champs. Il leur fallait tout de même apporter des seaux d'eau de mer directement dans les bassins. Pour faciliter cette opération, plus tard, des éoliennes ont été installées avec un système de pompage.


Le principal problème rencontré aujourd'hui par les sauniers est économique. Hier, le sel faisait la fortune des familles locales. Aujourd'hui, le sel libanais ne fait pas le poids face à l'égyptien qui coûte moins cher mais est de beaucoup moins bonne qualité. Alors que des analyses réalisées par un laboratoire européen révèlent une qualité parfaite du sel libanais, celui-ci reste en souffrance.

Mais Hafez, qui semble ne jamais prendre de repos, a bien des idées. Dont une bien belle et bonne qui serait LA solution. Anfatour : contraction du nom du village d'Anfa et de la terminaison du nom du monastère Deir Al-NaTOUR. Projet d'éco-village qui, autour de la richesse du sel, ferait aussi la promotion de l'artisanat local plus largement, développerait la dimension pédagogique par des ateliers et formations à certains métiers, protégerait la bio-diversité du lieu, accompagnerait un tourisme intelligent tout simplement !

Pour cela, il faut évidemment de l'argent (avis aux investisseurs bienveillants) et mettre à bas toute velléité de promotion immobilière irrespectueuse. 

Cette course entre les salines traditionnelles et les salines historiques, en évitant les trous d'eau (sans pouvoir échapper aux moustiques) nous a captivées et nous a offert un nouvel ami passionnant.

Le soleil est tombé derrière l'horizon... nous contemplons sa disparition incendiaire sur les salines, avec l'espoir du jour qui renaîtra.

Si je ne m'abuse, Al-Natour signifie le gardien en arabe. Ce lieu en a un assurément, et son prénom est Hafez !