lundi 25 mai 2015

L'émotion au bout de la voix


Vous allez peut-être penser que j'ai un côté un peu rétro, à souvent souligner les traditions. Mais de quoi est donc faite l'identité d'un pays, d'un peuple, si ce n'est de ce socle que sont les traditions ? 

En voilà une impalpable, mais qui ne m'a jamais laissée indifférente bien que demeurant mystérieuse pour moi : le zajal ou "l'art d'émouvoir avec la voix". 

Il m'est arrivé d'être invitée à des mariages ou des repas festifs au cours desquels un ou deux "anciens" perpétuaient la tradition du zajal. Cette joute oratoire populaire en arabe dialectal qui a connu son âge d'or au Liban avant la guerre de 1975. Les zajalistes avaient un succès fou et étaient élevés au rang de poètes.


Au son des percussions, ils se lancent des défis syntaxiques et abreuvent l'auditoire de vers improvisés (ou appris par cœur) sur des thèmes comme la patrie et la femme. On y trouve aussi beaucoup d'humour avec parfois des connotations crues.

"A la nuit tombée / à l'insu des parents, je m'approche ivre de ma bien-aimée / j'embrasse ses lèvres enflammées / puisse-t-elle réchauffer mes lèvres gelées"...

"Impie je le suis à l'infini / du système et des chaînes je me suis affranchi / ma religion est celle-ci / la religion de la raison et de la vie"...

Certains y voient les influences des chants liturgiques syriaques et de la poésie persane (Antoine Boutros el-Khoueyri - Tarikh a'zajal al-loubnani). Parmi les nombreux textes de zajal, l'un des plus rares date du XIIIème siècle et traite de la chute des Croisés dans Tripoli.

Forteresse Saint Gilles de Tripoli
Après un vrai déclin, cette tradition commence à renaître depuis quelques années grâce à une émission de télévision locale qui a primé une dizaine de novices. Facebook se fait aussi le relais des amateurs.

Même si je n'ai jamais rien saisi à la subtilité de ces échanges, je les ai toujours perçus comme un miel qu'on laisse doucement fondre en bouche. Pour moi, c'est la saveur d'une langue alliée au velours des voix qui la déclament, et font naître un frisson intérieur. C'est aussi une ambiance où chacun est à l'écoute, goûte, savoure et apprécie en poussant des exclamations ou en applaudissant. C'est l'expression populaire d'un amour de la vie et du verbe.



jeudi 14 mai 2015

La "danse" du tric trac

Tout comme à Buenos Aires on danse le tango dans la rue, au Liban on y joue au tric trac. Une autre sorte de danse... celle des dés jetés qui roulent... celle des pions qu'on déplace et qui claquent contre le bois du plateau de jeu, tel le bruit des talons frappant le sol au rythme de la musique.

Sur le trottoir ou au café, les hommes se font face dans une joute précise et ancienne. Car c'est au Vème siècle que remonterait l'origine de ce jeu. On en trouve trace dans une épigramme dédiée à l'empereur byzantin Zénon. 

Il existe plusieurs versions de ce jeu qu'on appelle communément "tawle" (table). Pratiqué dans tout le Moyen-Orient, l'influence turque s'entend encore dans les chiffres criés par les joueurs à chaque lancement de dés : yek (un), dü (deux)... ! Encore un exemple du mélange culturel qu'est ce pays.

Cela reste tout de même un jeu populaire et masculin. Le fait d'y jouer dans la rue, ameutant les voisins, les passants... on s'invective, on crie, les coudes sur les dossiers des chaises qu'on a retournées, avec souvent un narguilé et un plateau de café à portée de main. Pas très féminin tout çà... mais bon...

Tout le monde n'adhère pas bien sûr, mais pour un œil extérieur, avide d'authenticité comme le mien, c'est un régal, une curiosité à ne pas louper. Un vrai ballet de sons, d'odeurs, de postures ! 

Aujourd'hui, malgré l'invasion des jeux vidéos, on trouve encore à Beyrouth des cafés où l'on joue au tric trac. Et puis c'est sans compter les "jeddo" (grand-pères) qui transmettent leur savoir à leurs petits-fils... 
Sans l'avoir bien pratiqué, j'ai même appris à y jouer. Alors je suis prête à parier que cette tradition a encore de beaux jours devant elle. 

jeudi 7 mai 2015

Pour l'amour d'Aammiq

Je me souviens encore de mes amis Libanais me disant que la guerre avait fait fuir les oiseaux. Et c'était vrai que dans les années 90 on n'entendait guère de pépiements joyeux. Personne ne m'avait parlé d'Aammiq et son projet de conservation de l'environnement qui allait voir le jour, et pour cause... 
Les années de guerre avaient mis cette propriété privée de 3500 hectares de nature (montagne boisée, zone humide, activité agricole, etc) entre parenthèses. La zone avait déjà perdu près de 700.000 arbres et les 240 hectares de marécages  avaient été presque complètement mis à sec. Terrible constatation alors que les écrits ottomans du 17ème siècle évoquaient une zone humide allant jusqu'à 30 km de là...

La majeure partie de ces terres situées au cœur de la vallée de la Bekaa ouest appartient à la famille Skaff depuis 1927. C'est la troisième génération qui a décidé en 1997 de reprendre la gérance des lieux. L'année suivante, la conservation a débuté avec l'aide d'une organisation internationale. Depuis 2005, Aammiq fait aussi partie de la Shouf Biosphere Reserve, comme plusieurs villages du versant ouest de la montagne.

Aujourd'hui, on peut y faire de belles randonnées et, avec un peu de chance, y voir des oiseaux migrateurs : cigognes blanches, pélicans, aigles..., et des mammifères locaux comme les sangliers, renards, loups, hyènes et même des buffles (réintroduits en 2002) !




Toujours dans l'idée de l'éco-tourisme, un restaurant écologique -Tawlet Ammiq (la table d'Ammiq)- existe depuis trois ans au même endroit. Energie solaire, puits canadien, mobilier en bois de palettes recyclées, recyclage systématique des déchets, cet éco-resto a toute la panoplie pour séduire même les écolos purs et durs, et met en avant recettes, ingrédients et producteurs locaux. 
Je sais pas vous, mais moi... je kiffe !
Et pour confirmer, "çà plaît à tous les âges et surtout aux jeunes" m'a dit Michel Skaff, avant d'ajouter "la nature a une valeur qui est quantifiable... et c'est le futur !". Pourvu que les générations à venir en restent convaincues...



Si vous n'avez que deux minutes, çà tombe bien... faites vos premiers pas grâce à cette vidéo.